Réactions de SleepOnline Escaut Meuse Moselle au rapport du KCE 330 Bs intitulé :

ORGANISATION DU DIAGNOSTIC ET DU TRAITEMENT DES APNEES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL : UNE COMPARAISON INTERNATIONALE.

A. Introduction.

Le rapport 330Bs du KCE se présente comme une synthèse sur l’organisation du diagnostic et du traitement des apnées obstructives du sommeil établie, selon ses auteurs, à partir d’une comparaison internationale (France, Pays-Bas, Allemagne, Grande Bretagne, Finlande et rapport AASM des États-Unis). Cette synthèse est effectuée en vue « d’améliorer » sur le plan du diagnostic, du traitement et des finances publiques, l’abord de cette affection.

Il comporte une courte préface, d’une page, signée du Directeur Général Adjoints a.i., Monsieur Christophe Janssens et du Directeur Général a.i. Madame Marijke Eyssen. Dans cette préface, les auteurs avancent que c’est sans doute la prévalence du Syndrome d’Apnées Obstructives (SAO) qui explique l’importance numérique de celui-ci, en raison des augmentations d’âge et d’obésité dans la population. Ils soulignent que passer des tests de sommeil, à l’hôpital, n’est évidemment pas l’environnement le plus naturel pour le sommeil… ; que les possibilités techniques ont évolué (appareils plus simples) et que la demande reste élevée. Ils concluent par une question : « Ne devrions-nous pas accorder plus d’attention à la prévention de l’obésité, à l’alimentation équilibrée et à l’amélioration du mode de vie des personnes obèses ? » Pour les préfaciers, curieusement, l’obésité s’impose comme un facteur de risque majeur du SAO.

Suit une table des matières et un texte de 29 pages, reprenant (1) une introduction aux objectifs de l’étude, (2) les grandes définitions du syndrome des apnées du sommeil, (3) l’organisation de la prise en charge en Belgique à l’étranger, (4) les propositions d’amélioration et recommandations.

Au terme de ce texte, figurent les noms des experts externes (i.e. 9 médecins étrangers experts de Grande Bretagne, des Pays-Bas, de France, de Finlande et d’Allemagne), mêlés à ce que les rédacteurs du KCE appelle les « stakeholders ». Ce terme anglais peut être traduit par « parties prenantes ». En effet, selon le dictionnaire américain Webster (1985), il s’agit de personnes qui disposent d’enjeux ou d’intérêts matériels ou financiers pour améliorer la situation (person entrusted with the stakes of bettors).

La distribution des intervenants est représentée dans la figure ci-dessous :

Nous observons la présence de cinq ingénieurs, techniciens commerciaux, directement intéressés à la distribution et à la vente de matériaux de diagnostic, de dépistage et de traitement. Ils sont à égalité avec le nombre (cinq) de médecins belge représentant véritablement un laboratoire de sommeil, soit des médecins spécialisés dans les traitements du syndrome des apnées du sommeil. On compte environ 70 centres de ce type en Belgique. Parmi ces représentants, il y a le président d’une des deux associations académiques belges de médecine du sommeil, la BASS (Belgian Association for Sleep research and Sleep medicine), mais agit-il à titre personnel puisque, apparemment, personne d’autre, à la BASS n’a été officiellement consulté sur ces négociations ?

Quant à SleepOnline Escaut Meuse Moselle, regroupant quelque 65 laboratoires de sommeil en Belgique, elle n’a pas été consultée.

Les conflits d’intérêts déclarés dans ce rapport sont nombreux, en particulier pour les médecins belges mais aussi pour les experts étrangers (page 32 de la synthèse).

Comme le souligne le rapport, les experts externes ont été consultés sur une version préliminaire du rapport scientifique. Leurs remarques ont été discutées au cours des réunions. Ils ne sont nullement co-auteurs du rapport scientifique et n’était pas « nécessairement d’accord » avec son contenu mais on ignore dans quel sens, il marquait leur désaccord.

Le rapport mentionne encore que la version finale a été soumise à des validateurs (trois ?). La validation du rapport a résulté d’un consensus ou d’un vote majoritaire entre les validateurs. Les validateurs ne sont pas non plus co-auteurs du rapport scientifique et il n’était pas nécessairement tous les trois d’accord avec son contenu.

Il s’agit probablement d’une méthode propre au KCE, mais inhabituelle dans des rapports scientifiques ou académiques de consensus puisque dans ceux-ci, au moins, les contradictions, les points de désaccord, les remarques négatives sont mentionnées, citées, souvent en bas de pages. Cela n’apparaît nullement ici.

Nous avons vérifié le caractère « consensuel » de ce rapport en interrogeant, séparément, deux membres de cette « commission », lors de colloques accrédités (les 23 septembre 2020 et 12 octobre 2020). Chaque fois, lors de l’exposé de ces membres, il est apparu que toutes les remarques négatives, souvent importantes, ne transparaissaient pas dans le texte final soumis par le KCE.
Sur ces entrefaites, nous avons reçu de l’Union Professionnelle des Médecins Belges Spécialistes en pneumologie, en date du 2 septembre 2020, une lettre concernant ce rapport KCE 330 Bs.
Nous marquons pleinement notre accord avec toutes les remarques de ce rapport.

Nous souhaiterions à notre tour attirer l’attention sur un certain nombre de questions importantes.

 

B. Synthèse et recommandations du KCE pour le diagnostic du Syndrome d’Apnées et d’Hypopnées Obstructives du Sommeil (SAO).

Le rapport de synthèse du KCE (32 pages) fournit, à partir d’un état des lieux, sur l’organisation du diagnostic et du traitement du SAO, dans cinq pays européens (Allemagne, Belgique, France, Finlande, Pays-Bas) ; à partir des recommandations de l’AASM (American Academy of Sleep Medicine), ainsi qu’à partir d’une évaluation des coûts de suivis des patients en Belgique, des recommandations actualisées.

Ces recommandations tiennent compte de deux apports techniques 1) du développement d’appareils portables de diagnostic et de dépistage à domicile (classement de ces appareils, réparti comme suit : I polygraphie de sommeil (PGS) à l’hôpital ; II polygraphie de sommeil (PGS) à domicile ; III polygraphie ventilatoire (PGV) de haut niveau (quatre canaux dont deux pour la ventilation et l’effort ventilatoire) ; IV polygraphie ventilatoire (PGV) de niveau simple (un ou deux canaux) et 2) des systèmes de surveillance télémétrique des troubles ventilatoires du sommeil de patients, sous ventilation en Pression Positive Continue (PPC – CPAP) (et accessoirement des patients sous orthèse d’avancée mandibulaire – OAM).

Le KCE recommande une intégration effective (financée) 1) des médecins spécialisés en médecine générale d’une part (diagnostic et traitement) et 2) des sociétés commerciales assurant la distribution des appareils de ventilation PPC/CPAP pour le suivi de l’efficacité du traitement et des renouvellements de matériel.

Le KCE recommande, jusqu’à un certain point, une combinaison de ces deux intégrations. Le but est présenté comme un souci d’alléger la charge de travail qui repose sur les Centres Hospitaliers de Sommeil et, par voie de conséquence, de réduire les coûts liés aux augmentations des nombres de patients.

La pierre de touche de l’édifice ainsi construit est de « libéraliser », vers la spécialité en Médecine Générale et vers les sociétés commerciales, les coûts des diagnostic et suivis thérapeutiques des patients dont un prétest clinique plaide en faveur d’un SAOS mais sans aucune comorbidité associée, au-moins, au moment du diagnostic.

Le rapport du KCE situe l’obésité comme le seul facteur le plus important du SAO (page 8) et insiste sur les limites de l’indice d’apnées et d’hypopnées obstructives (IAHO), comme marqueur de sévérité clinique du SAO.

Le rapport du KCE mentionne le rapport de la commission « Clinical Practice Guidelines: Diagnostic Testing OSA. », publié en 2017 par l’AASM 1. Cette commission retient, pour sa simplicité une classique division entre les appareils portables de type III et IV comme moyens de dépistage, ce qui, conséquemment, implique le risque de tests négatifs. Ces cas devraient alors être systématiquement, selon cette commission, suivis d’une polygraphie de sommeil (PGS) à l’hôpital.

Le rapport du KCE établit une liste limitée des comorbidités associées (page 7) : hypertension artérielle difficile à contrôler, infactus du myocarde, accident vasculaire cérébral et diabète.

En réalité, la liste des comorbidités reconnues est beaucoup plus importante et il faudrait s’en reporter au site https://www.malacards.org/card/apnea_obstructive_sleep?limit[Publications]=2124#sources, human database ; pour en obtenir la liste exhaustive.

 

C. Dangers des recommandations énoncées pour le diagnostic de SAOS.

Sur ces différents points, il y a d’abord lieu d’attirer l’attention du KCE et de l’INAMI, sur le fait que l’obésité seule est loin de définir un risque prédictif de SAO (nombre de gens très obèses n’ont aucun SAO ou un SAO, peu en rapport avec leur obésité. En réalité, cette dernière affection s’observe plus souvent chez les hommes souffrant d’un surpoids ou d’une obésité modérée2). L’âge joue un rôle dans l’’aggravation de l’indice d’apnées et d’hypopnées obstructives mais il faut aussi tenir compte du développement d’une ventilation buccale, au cours du sommeil, depuis l’enfance ainsi que de facteurs affectants la croissance des os de la mandibule et du maxillaire. D’autre part, effectivement un IAHO -paramètre quantitatif certes, mais singulièrement réduit parmi les autres paramètres du sommeil- ne peut, pour cette seule raison, être interprété que par un médecin spécialiste du sommeil aguerri, confrontant les données cliniques d’un patient donné (et pas les résultats de questionnaire ou d’un algorithme clinique, comme le souligne à juste titre, le rapport de la commission de l’AASM).

Si, après un test PGV à domicile, le résultat de ce dernier s’avère négatif (hypothèse reprise par le rapport de la commission AASM), il importe, chez un patient présentant un tableau clinique permettant un prétest clinique positif modéré à élevé (KCE p20), de réaliser une PGS à l’hôpital (force forte de recommandation, selon l’AASM), au risque d’entraîner des torts conséquents, associés à un diagnostic inexact. Il s’agit, donc, à l’évidence, de « reculer pour mieux sauter ».

Rappelons ici, dans le texte, les conclusions générales du texte de la commission de l’AASM sur les appareils de diagnostic et de dépistage :

Diagnostic testing for OSA is best caried out after a comprehensive sleep evaluation.
Sleep apnea-focused questionnaires and clinical prediction rules lack sufficient diagnostic accuracy, and therefore direct measurement of SDB is necessary to establish a diagnostis of OSA.
We recommend that clinical tools, questionnaires and prediction algorithms not be used to diagnose OSA in adults, in the absence of polysomnography or home sleep apnea testing (STRONG RECOMMENDATION).
The ultimate judgement regarding the suitability of any specific recommendation must be made by the clinician, in light of the individual circumstances presented by the patient, the available diagnostic tools, the accessible treatment options, and available resources.
…many patients suffer from more than one sleep disorder or present with atypical sleep apnea symptoms.
Following testing, a comprehensive sleep evaluation and follow-ups under the supervision of a board-certified sleep medicine physician should be completed.

La liste des comorbidités associées, interdisant les tests à domicile (KCE p20) implique des pathologies cardio-neuro-vasculaires, pneumologiques, métaboliques, endocrinologiques, psychiatriques, risquant de limiter par ailleurs, sérieusement de telles possibilités d’enregistrement. On peut dès lors s’interroger sur l’impact économique d’une telle mesure.

À moins d’un contrôle strict des motivations relevant du prétest clinique (probabilité pré-test, modérée à élevée, sans comorbidités associées) chez les prescripteurs de tests (comment ?), on peut certainement craindre l’ouverture d’une boite de Pandore.

Un test à domicile a, en fait, pouvoir de contribuer, par un screening ajouté, ou dépistage, à la valeur prédictive du prétest clinique, et encore, à la condition que les données brutes soient lues par des médecins formés spécifiquement et pas, par des « techniciens » non médecins ou par des robots (cfr infra, page 5, §5). Il a alors une force particulière, par exemple pour le dépistage d’apnées obstructives, dans une population souffrant d’hypertension, dans une population de déprimé.e.s, ou encore dans une population diabétique etc. Nous ne voyons pas dans quel cas, il épargne la réalisation d’une PGS dans un Centre de Médecine du Sommeil. La réalisation d’un test de dépistage à tous les patients obèses est une dépense inutile alors que le diagnostic s’observe surtout chez les adultes en surpoids et qu’il est même souvent absent chez les adolescents très obèses et chez les jeunes obèses. En effet, le SAO est le résultat, en tant que syndrome, d’une conjoncture d’éléments (surpoids, âge, structure faciale) avec des conséquences différentes selon le sexe.

Par contre, en clinique, tout « diagnostic » de dépistage, quel qu’il soit, n’a de force que sous l’impératif d’une évaluation anamnestique, clinique préalable de la personne souffrant d’un trouble du sommeil. La troisième classification internationale des troubles du sommeil (International Classification of Sleep Disorders. Third Edition de 2014) relève quelque 60 pathologies du sommeil, parmi lesquelles le SAO. Tout praticien d’un centre de sommeil connaît des intrications innombrables, tantôt claires, tantôt dissimulées, de ses pathologies (Comment imposer une ventilation en PPC à un patient apnéique et insomniaque ou agoraphobique ? Comment gérer le très fréquent tableau/syndrome des mouvements périodiques des membres, associé ou non au Syndrome des Jambes Sans Repos ? Comment prendre en compte les pathologies internes ou psychiatriques, constituant autant de pathologies extrinsèques du sommeil, etc ).

Au sein d’un laboratoire, le médecin et l’équipe technique paramédicale spécialisée disposent de temps pour administrer et examiner des questionnaires validés, permettant de distinguer « somnolence diurne excessive », « fatigue (psychasthénie) diurne », « dépression », « anxiété », « syndrome des jambes sans repos », « typologie du sommeil ». Médecins et équipes techniques paramédicale évaluent en permanence les valeurs de ces tests.

Sont rejetés ou peu considéré, en général, en Belgique, des tests tels que le STOP BANG, les questionnaires de Berlin ou du Wisconsin, souvent échafaudés pour d’autres disciplines que la médecine du sommeil, comme l’anesthésie, par exemple (page 8). Même le questionnaire ESS d’Epworth a très peu de relation avec le SAO et l’IAHO. Il y a ici confusion manifeste entre somnolence diurne excessive et psychasthénie diurne.

 

D. Notre position sur les moyens de dépistage du Syndrome des Apnées et des Hypopnées Obstructives du Sommeil.

Pour le plus grand nombre des praticiens des centres de sommeil en Belgique, et en particulier pour les membres de SleepOnline Escaut Meuse Moselle, parmi les tests de dépistage, 1) ceux de classe II (PGS à domicile) sont trop lourds et encombrants. Ils impliquent plus souvent, tant qu’un système de PGS, sans aucun câble électrique, n’a pas été mis au point, des risques dans la conduite du véhicule, lors des voyages du patient du Centre de Sommeil au domicile et retour. Ces systèmes peuvent souvent dépendre de connexions de type GSM, qui doivent couvrir l’ensemble du pays et doivent surtout être sécurisées. Les patients doivent pouvoir, à domicile, être au besoin renseignés, pendant la nuit, sur la bonne marche de l’enregistrement ; 2) ceux de classe III (4 canaux) offre la plus grande commodité, dans la mesure où le patient peut placer et brancher lui-même, très simplement l’appareil à domicile, dans la mesure aussi où l’effort ventilatoire est clairement validé et enfin dans la mesure où on peut assurer une mesure fiable (publiée, validée) de l’éveil et du sommeil par actimétrie ou distance-métrie.

Un test de dépistage de type IV (1 ou 2 canaux) tient plus du gadget, souvent offert par les firmes qui vendent des appareils de pression positive, afin d’accroître leur chiffre d’affaire (Apnealink, Withings, Sleep Analyzer etc…).

Un test de dépistage de type III, pour les apnées et hypopnées obstructives, pour les apnées et hypopnées centrales du sommeil ainsi que pour l’augmentation de la résistance ventilatoire et pour l’hypoventilation alvéolaire doivent disposer d’une sensibilité supérieure à 85% et d’une spécificité supérieure à 90%, pour être recommandables, en pratique de médecine générale (et il en va de même en cardiologie !). De tels appareils sont prévus, non seulement pour des patients dépourvus de comorbidités du SAO mais aussi pour des patients dits « à risque », avec AVC, coronaropathie, fibrillation auriculaire, hypertension artérielle, obésité, dépression, diabète, hypercholestérolémie…

Un tel dépistage, avec des appareils de type III, constitue alors un triage, permettant d’accorder une priorité pour l’accès à la polygraphie de sommeil, au centre de sommeil, avec un score de « priorité » plus ou moins important.
De toute évidence, les rédacteurs du rapport du KCE ont à l’esprit, les listes d’attente pour l’accès aux Centres de Sommeil et le coût des hospitalisations associées à la réalisation des polygraphies de sommeil. C’est ne pas tenir compte de l’évolution de ces dix dernières années. Cette évolution a impliqué de sérieux investissements en nombre d’appareils et de chambres de sommeil adéquates, par les Services Hospitaliers. Actuellement, le délai d’attente moyen pour une PGS à l’hôpital, est de 2 à 3 mois. De plus, le personnel de soin paramédical en particulier, attaché à ces unités/centres (laboratoires) de sommeil a acquis une expertise dans les pratiques d’anamnèse et surtout de questionnaires qui dépassent de très loin les possibilités pratiques en médecine générale.
Le diagnostic de SAO est très rarement isolé, comme pathologie du sommeil, et la mise au point du seul traitement de ce SAO doit impérativement tenir compte des autres pathologies du sommeil, sinon c’est l’échec et une multiplication faramineuse des coûts.

Enfin, il faut revenir sur un point fondamental, inhérent à l’usage des appareils de dépistage de type III ou IV, c’est la bonne lecture de leurs résultats. Ce que propose l’industriel, le commercial, aux Médecins Généralistes, c’est une synthèse automatique des données du patient, effectué par un robot. Pour les appareils de type III, il peut y avoir, de surcroît, un contrôle de ces données par un membre de l’entreprise, essentiellement non médecin. Il s’agit d’un service proposé et soumis à payement. On peut comprendre que le Médecin Généraliste, appelé par toutes les tâches de son métier, ne puisse exercer un regard critique sur ces données finales cruciales. C’est là, en l’état actuel, une des sources d’erreurs manifestes d’orientation erronée de patients vers les Centres de Sommeil ou d’écartement de patients SAO qui auraient dû, au contraire, être pris en compte dans ces Centres de Sommeil.

On le voit, cette situation ajoute plutôt qu’elle ne retranche du travail en amont et au sein des Centres du Sommeil. La seule correction à cette faille ou dérive est que les données brutes de ces enregistrements soient pleinement accessibles aux médecins responsables des Centres du Sommeil.

L’expérience atteste largement de cette faille ou dérive et le KCE n’en fait ni mention, ni allusion.

 

E. État de la médecine du sommeil et attitude des patients dans notre pays.

Comme le rapport de la commission de l’AASM, il nous paraît important de prendre en compte les valeurs et préférences des patients envers la médecine du sommeil et plus particulièrement envers le SAO (cfr leur tableau 5 : Patients Values and Preferences in Recommendation)

1) Médecine du Sommeil : Une discipline clinique appelé « Médecine du Sommeil » existe. Elle s’est développée sur la planète, à partir de l’Europe et des États-Unis, depuis 50 ans. Cette discipline comporte quelque 60 pathologies dont le SAO n’est qu’une partie. Dans une grande majorité des cas, plusieurs pathologies intrinsèques et extrinsèques du sommeil peuvent être intriquées et la non reconnaissance de ses intrications est la source des mauvaises gestions ou des gestions thérapeutiques insuffisantes.

2) Formation des médecins en Belgique : Il n’existe, en Belgique, aucune spécialité ou sous-spécialité reconnue en médecine du sommeil. L’INAMI en a pris conscience, en accréditant simplement des Centre Hospitalier pour le SAO. L’INAMI, par rapport à cette situation, tente d’exiger ce qu’elle appelle des «portfolios», sortes de réglementations plus ou moins arbitraires, à géométrie variable, pour les médecins appelés à faire des diagnostic et des traitements de SAO (examens ? stages ? parrainages ?).

Pourtant, les Académies Royales de Médecine du pays ont souligné la défaillance béante en ce domaine (Voir leurs rapports conjoints de 2007, sur Internet). Le rapport du KCE ne mentionne nulle part ce rapport stratégique. Les Académies Belges ont rédigé leur document dans une perspective « préparatoire » pour tous les secteurs de la médecine, en matière de clinique du sommeil, en ce compris la médecine générale.

Les universités francophones du pays tentent d’y remédier par un diplôme interuniversitaire (DIU). Ce genre de diplôme tend à s’ébaucher en Flandres.

Les organisations académiques belges (BASS, SleepOnline Escaut Meuse Moselle), ont introduit, il y a cinq ans, une requête pour l’organisation d’une formation en sous-spécialité Médecine du Sommeil, auprès du Conseil Supérieur du SPF Santé Publique. L’affaire suit son cours…

Il paraît regrettable que le KCE ne fasse mention ou ne prenne aucune position sur ce sujet crucial, de la formation de tous les médecins qui s’orientent dans domaine des troubles du sommeil.

4) Attitude et comportement moyens des patients belges face aux institutions de santé.

Aujourd’hui, lorsque les citoyens belges présentent une plainte de sommeil, ils ont tendance à s’adresser directement à des « spécialistes du sommeil ». Cette tendance est générale (elle ne concerne pas que les troubles du sommeil). Tous les acteurs de santé s’accordent pour opposer à cette tendance, des trajets de soins. Ici, le Médecin spécialisé en Médecine Générale doit être placé comme pivot éclairé d’orientation. Il connaît le mieux l’environnement et les habitudes de vie des patients. Il connaît les structures médicales spécialisées, susceptibles de fournir les meilleures chances de diagnostic différentiel, de diagnostic clinique et paraclinique ainsi que de traitements (physique, pharmacologique, chirurgical). Il peut donc utiliser, pour s’aider dans sa démarche, d’appareils de dépistage.

À cet égard, historiquement, avant les Médecins spécialisés en Médecine générale, des cardiologues ont ouvert la voie pour le suivi des fibrillations auriculaires, hypertensions artérielles, insuffisances cardiaques, infarctus… en réalisant, à partir de leurs cabinets, des tests de dépistage d’apnée du sommeil. Ceci mérite d’être rappelé ici. On ne voit pas se développer (comme en France) une cardiologie revendicative, de mise en place des traitements notamment par ventilation en Pression Positive Continue (PPC).

5) Comme initialement aucune formation à la médecine du sommeil n’existe, qui soit reconnue comme telle, depuis des lustres, de façon officielle, réglementaire ou légale, ce sont des Centres de Sommeil qui se sont développés dans les hôpitaux du pays. La structure physique centrale y a d’abord été la performance de polygraphies de sommeil, PGS reconnues dans toute la littérature scientifique comme « standards de référence ». Mais dans ces mêmes centres de sommeil, se sont ajoutées, en réalité, bien d’autres techniques et variétés de polygraphie de sommeil. La tendance de fond est d’améliorer les phénotypes du SAO, plutôt que de s’en tenir à l’adage dépassé : SAO = obésité + âge + sexe masculin. Répétons-le au risque de lasser : Il existe nombre de patients très obèses qui ne souffrent pas de SAO mais bien plutôt de SHO (Syndrome Hypoventilation Obésité). De même, il y a lieu de se méfier cliniquement des femmes qui présentent un « petit » SAO, voire un SRAVAS (Syndrome de Résistance Accrue de la Voie Aérienne Supérieure).

Des médecins de différents horizons spécialisés, ont développé leurs savoir-faire et leurs intérêts, d’abord au départ des hôpitaux universitaires (pneumologie à Louvain, ORL et psychiatrie à Anvers, neurologie à Liège, psychiatrie à Bruxelles …). Depuis lors, les centres de sommeil ont gagné les autres structures hospitalières du pays. Du point de vue de l’INAMI, elles restent cependant confinées, en termes de reconnaissance financière, à la prise en charge du SAO.

Ces spécialistes de différentes origines, grâce à la maîtrise des appareils de PGS, grâce à leur implication, souvent quasi-complète dans les pathologies du sommeil et grâce à leur autoformation scientifique, ont fini par constituer le noyau des « Spécialistes de fait du Sommeil ». Les spécialités d’origine se sont naturellement élargies : Neurologie, pneumologie, psychiatrie, ORL, pédiatrie, gériatrie…

C’est dans ce contexte que le citoyen belge moyen s’adresse à des Centres de Sommeil, pour le suivi de sa santé. Lui, le citoyen belge moyen, ne reconnaît pas la moindre spécificité SAOS quand il s’adresse à un centre de sommeil. Ou alors, ce n’est possible que lorsqu’il agit, sous l’incitation des médias.

L’INAMI, ayant pris conscience de cet état des lieux, a, de son côté recommandé/exigé des preuves de formation et d’équipement pour l’usage de ces centres. Le système est très imparfait, en l’absence d’une formation reconnue au niveau de l’enseignement universitaire mais il devrait s’appliquer en l’état, au moins, à toutes les spécialités médicales y compris la spécialité en Médecine Générale, intéressée par le sommeil.

6) Il semblerait qu’actuellement une révision des nomenclatures soit en cours à l’INAMI. Au vu de ce qui vient d’être énoncé, il serait important que soit introduit par le KCE, des recommandations pour des nomenclatures spécifiques, pour les polygraphies ventilatoires de haut niveau (PGV Type III), pour les tests de latence multiple d’endormissement (MSLT) ou de maintien de l’éveil (MWT), pour les actimétries etc…

 

F. Dangers des recommandations énoncées pour le traitement (par PPC) du SAOS.

La comparaison du KCE, entre les pratiques des différents pays, pèche par excès de modestie. Nulle part, la réglementation actuelle du suivi des traitements PPC/CPAP par l’INAMI, en Belgique, ne peut être « battue en brèche » sur les plans économiques et sanitaires, par les pratiques relevées dans des pays voisins ou aux États-Unis.

Elle ne peut être battue, ni sur le plan de la qualité des soins, ni sur le plan de l’économie financière. Les pays qui n’ont pas réglementé en cette matière, ou dont la réglementation cesse ses effets après un temps donné de traitement, ne peuvent assurer un suivi de qualité par des tiers (pour la télésurveillance ou le maintien du matériel). Les patients sont perdus de vue et c’est alors dans la sacro-sainte loi de « responsabilisation » des patients que tient lieu le suivi. Sinon, ce sont les dérives des coûts commerciaux et industriels qui seront imputés, à l’INAMI, ou au patient, ou à des assurances privées…

Il est un paradoxe assez clair en médecine du sommeil : A savoir que les cas de SAO les plus sévères sont apparemment les plus faciles à traiter par PPC. Mais ce sont tout de même aussi les cas les plus sévères par ailleurs, c’est-à-dire les cas qui présentent déjà des comorbidités nombreuses et qui doivent donc rester sous le regard et le contrôle de la médecine spécialisées du sommeil (entre autres).

Par ailleurs, seul un Centre de Médecine Spécialisée du Sommeil peut gérer, avec sécurité, des problématiques telles que l‘évolution du niveau de pression d’insufflation, le passage d’un traitement à un autre (PPC versus OAM ou vice versa ; passage de PPC versus chirurgie, ou vice versa…).

Les lois du profit et, pour tout dire, les lois brutales du marché, l’emporteront si les entreprises capitalistes de télésurveillance ou de fourniture de matériel de PPC en arrivent à « piloter » des médecins « aux ordres » et des patients.

Enfin, les Centres de Médecine Spécialisée du Sommeil peuvent régler administrativement, sans aucune perspective lucrative, les droits des patients de passer d’un centre de convention à un autre, pour des raisons les plus diverses (liberté de choix des patients, déménagement, etc.) mais toujours légitimes.

Les Centres de Médecine du Sommeil, centres spécialisés, jouent à tous les coups, un rôle essentiel de régulateur que jamais les moyens de surveillance, à partir de la Médecine spécialisée en Médecine Générale ne pourra assurer.

C’est le patient qui, finalement risque de bien ressentir les effets d’être « perdu de vue ». Les exemples ne manquent pas à ce sujet, surtout quand la gestion du traitement à domicile est sous traitée par des sociétés privées (comme en France).

La conjonction de la règle de l’enveloppe budgétaire de l’INAMI et celle du non dépassement de croissance, fixée à 15%, constitue un verrou de sécurité qui ne risque pas si facilement d’être dépassé.

Ces normes pourraient encore être renforcées si l’INAMI jouait de tout son poids pour réduire les prix des appareils de ventilation en PPC, en évaluant les prix sur base de la masse totale d’appareils prescrits dans notre pays.

 

G. Notre position sur les moyens de suivi des traitements des Syndromes d’Apnées Obstructives du Sommeil.

Une réforme progressiste serait plutôt de passer, pour les suivis à long terme, par les Réseaux de Suivis de Santé à Domicile (par exemple ces nombreux centres organisés, entre autres, par les mutuelles) appuyés par des relais dans les Centres de Sommeil. De tels réseaux existent et il est surprenant que le KCE n’y fasse aucune allusion.

Les épreuves de titration et de vérification de l’efficacité du traitement par pression positive peuvent être réalisées par une conjonction d’instruments qui comporte d’une part les appareils de pression positive et d’autre part des tests de dépistage en particulier des tests de dépistage de type III (PGV de haut niveau).

Le suivi à plus long terme doit être rigoureusement organisé par des Centres du Sommeil car très souvent, des complications surviennent après quelques années ; le matériel s’use et doit être remplacé médicalement. Enfin, il arrive souvent que des patients déménagent et changent de centre de surveillance. Il importe de tenir une comptabilité sérieuse et désintéressée de ces changements de sites de suivi.

L’évolution de la télémétrie (pratiquement déjà toujours acquise par les centres hospitaliers de sommeil, dans leur contrat d’achat d’appareil de pression positive) permet aujourd’hui de proposer, pour le suivi l’attitude suivante : Quand un patient est observant, on pourrait se contenter des rapports de télémétrie pour des périodes de 2 ou 3 ans et le patient ne serait revu (sauf plainte médicale) qu’au bout de 2 ou 3 ans. Cela permettrait de très sérieuses économies.

MAIS MIEUX ENCORE, afin d’autonomiser les Centres de Sommeil, de les « libérer » de toute tutelle des logiciels privés de surveillance des traitements, il serait certainement utile, au plus haut point de développer, collectivement et en collaboration avec l’INAMI de tels matériels et logiciels télémétrique. Il n’y a, à cela, aucune complexité insurmontable. Il suffirait d’acquérir un pneumotachographe miniaturisé, à placer en série, sur la tuyauterie de sortie d’un appareil de ventilation en PPC et doter cet appareil d’un logiciel de communication avec les Centres (il semble que des fonds existent à l4INAMI pour ce type de développement).

ENFIN, une « déshospitalisation » des Centres pluridisciplinaires de médecine consacrée au sommeil ne pourrait s’envisager qu’à la condition que ces Centres restent encadrés, structurés, polyvalents, rompus à la médecine du sommeil. Ces pistes non pas du tout été explorées par le KCE et c’est plutôt surprenant.

Confier le suivi des patients SAO à des centres commerciaux de vente d’appareil de traitement comporte un risque flagrant. Mettre ce risque sous le couvert d’un suivi en médecine générale ne changera pas la donne.

En résumé, notre lecture du rapport du KCE 330 Bs, nous incite à mettre au premier rang les points suivants, non évoqués dans ce rapport :

  1. Reconnaissance de la spécialisation (ou sous-spécialisation) en médecine du sommeil et des formations pour les acteurs de santé non médecins, impliqués à ce niveau.
  2. Exigence de cette spécialisation pour tous les acteurs médicaux et de santé, y compris les spécialistes en médecine générale.
  3. Exigence d’accès aux résultats bruts fournis par les appareils de dépistage (PGV type III), pour le suivi correct des patients SAO, par les Centres de Sommeil.
  4. Surveillance des coûts, bénéfices et investissements déjà réalisés et assumés dans les Centres Hospitaliers, pour faire face à la demande.
  5. Réalisation des suivis PPC/CPAP et OAM ou autres, des patients SAO par coordination entre Réseaux de Santé à domicile déjà existants et Centres de Médecine du Sommeil.
  6. Développement, sous l’égide de l’INAMI d’un système robuste de suivi télémétrique des traitements par ventilation en PPC.

Ces points nous paraissent les plus essentiels.

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Biblio. :

1. Kapur VK, Auckley DH, Chowdhuri S et al. Clinical Practice Guideline : Diagnostic Testing OSA. J of Clin Sleep Med. Vol.13 n°3 2017, pp 480-503.
2. Kumar P, Rai D K, Kanwar M S . Comparison of clinical and polysomnographic parameters between obese and nonobese obstructive sleep apnea. J Family Med Prim Care. 2020 Aug; 9(8), pp 4170–4173.

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